La France en 2024 : Défis et opportunités du bicamérisme dans un climat politique complexifié

En 2024, la France se trouve à un carrefour politique crucial, marqué par des défis et opportunités sans précédent. Dans ce paysage complexe, le Parlement français, avec son système bicaméral, joue un rôle essentiel.

La France en 2024 : Défis et opportunités du bicamérisme dans un climat politique complexifié
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En 2024, la France se trouve à un carrefour politique crucial, marqué par des défis et opportunités sans précédent. Cette période est caractérisée par la montée des extrêmes, une violence politique accrue, et la propagation des fake news et deep fakes, défis exacerbés par les élections européennes imminentes, le changement climatique, et un contexte international tendu. Dans ce paysage complexe, le Parlement français, avec son système bicaméral, joue un rôle essentiel.

Il s’agit ainsi d’explorer comment, dans un climat de crises multiples, le bicamérisme s'adapte, influence, et est influencé par les dynamiques politiques et sociales actuelles, tout en scrutant l'impact des lois récentes de l’année écoulée, notamment peu populaires (Retraites, Immigration, …) sur la stabilité politique.

Cette analyse se porte également sous le spectre de la communication politique qui, dans ce contexte numérisé, devient un outil vital pour naviguer ces eaux tumultueuses, soulignant l'importance du Parlement en tant que pilier de la démocratie et gardien de l'équilibre politique en France.

Le Parlement français face aux nouveaux défis politiques

Dans cette ère de bouleversements politiques, le Parlement français est confronté à des défis nouveaux et complexes. La montée des extrêmes et la violence politique se manifestent dans un climat de plus en plus polarisé, où la modération parlementaire est essentielle pour maintenir l'équilibre démocratique.

Dans sa note de recherche sur la vague 14 du Baromètre de la confiance politique[1], Luc Rouban met en lumière le constat « qu’il existe un véritable hiatus entre les projets des partis politiques et les aspirations de leurs électorats respectifs. La contestation de la réforme des retraites n’a fait que réactiver chez les citoyens une posture critique à l’égard de la démocratie représentative. Mais la comparaison internationale ne permet pas de conclure à une spécificité française sur ce terrain car les résultats ne sont guère meilleurs dans des pays à régime parlementaire, fortement décentralisés et qui utilisent des modes de scrutin variés »[2]. Ainsi, Rouban conclus en disant « qu’il n’y a pas de corrélation entre le système institutionnel et la crise démocratique. L’attente majoritaire est celle d’une plus grande démocratie directe mais aussi d’une efficacité ou d’une effectivité réelle de l’action publique qui semble s’enliser à la fois dans des débats sans débouché et dans un appauvrissement des services publics »[2].

La polarisation politique conduit donc à des pratiques parlementaires plus partisanes. Il est donc d’autant plus nécessaire de maintenir un dialogue constructif et une approche bi partisane au sein du Parlement.

Parallèlement, la lutte contre les fake news et les deep fakes devient un enjeu majeur pour les législateurs.

Dominique Reynié explique ainsi « qu’il ne sera pas possible de bénéficier d’un fonctionnement satisfaisant de la démocratie sans l’appui et le relais d’un ordre médiatique relativement stable, efficace et reconnu »[3]. Il ajoute que « l’avènement de la démocratie parlementaire est intimement lié à l’émergence d’une presse en mesure de promouvoir un espace national de discussion, de contribuer à l’animer et à le réguler ». Il se pose ainsi la question de savoir, dès lors, « que devient la démocratie quand l’espace public s’universalise par la globalisation, quand les auditoires sont composés de dizaines de millions d’individus, lesquels s’apparentent de plus en plus à autant de médias ? »[3].

La désinformation numérique représente ainsi un défi significatif pour la démocratie, requérant une réponse proactive et informée du Parlement pour garantir l'intégrité de l'information publique.

En conséquence, le Parlement, par son bicamérisme, doit donc naviguer ces eaux tumultueuses, cherchant à équilibrer la représentation et la réactivité face à ces défis pressants.

Le bicamérisme à l'épreuve des réformes controversées

Le bicamérisme français, incarné par l'Assemblée nationale et le Sénat, a été particulièrement éprouvé par les réformes controversées des dernières années. La loi Retraites et la loi Immigration, deux sujets politiquement sensibles, ont mis en évidence la dynamique complexe entre les deux chambres. Même si ces lois ont engendré de vifs débats et des manifestations, la tension entre les aspirations gouvernementales et les préoccupations populaires ne trouvent pas leurs sources en elles.

Dès 2023, « la onzième enquête de "Fractures françaises"[4] rapporte que 65 % des personnes interrogées jugent irremplaçable le régime démocratique. Pour autant, 69 % jugent qu’il fonctionne mal, estimant que leurs idées y sont mal représentées. […] De fait, aux yeux des Français interrogés dans [l’]enquête, le fonctionnement du Parlement se dégrade fortement. Ils sont désormais 43 % (contre 31 % en 2022) à considérer que la démocratie fonctionne moins bien en présence d’une majorité relative, 10%à penser le contraire et, enfin, 47% sans avis tranché »[5].

Pour autant, ces lois ont engendré de vifs débats et des manifestations, soulignant la tension entre les aspirations gouvernementales et les préoccupations populaires. La façon dont ces réformes ont été débattues et modifiées au Parlement témoigne de la capacité du bicamérisme à agir comme un mécanisme de contrôle et d'équilibre, essentiel dans un climat politique instable. 

Communication politique et médias dans un monde numérisé

La communication politique et les médias dans un monde numérisé représentent un défi et une opportunité pour le Parlement français. L'ère numérique, caractérisée par l'influence croissante des médias sociaux et des plateformes numériques, a révolutionné la manière dont les politiques et les idées sont communiquées et débattues.

Selon une étude Kantar Public onepoint pour La Croix menée en 2023[6], bien que 68% des Français affirment utiliser les réseaux sociaux pour être informés sur l’actualité (dont 36% quotidiennement) les réseaux sociaux font l’objet d’une réelle méfiance. Notamment en raison de leur fonctionnement mais aussi de la qualité et véracité de l’information diffusée. Toutefois, les plus jeunes – qui en sont aussi les plus gros consommateurs – se montrent moins critiques.

Quand on demande aux Français quel est le média qu’ils privilégient pour être informés, les journaux télévisés (cités par 35%) arrivent largement en tête – y compris chez les jeunes – devant les chaînes d’information en continu (18%), la radio (8%) et les réseaux sociaux (6%).  À noter que, chez ceux qui disent s’intéresser très peu à l’actualité, les réseaux sociaux sont bien davantage cités (17%) juste derrière les journaux télévisés (24%). 

Ainsi, les réseaux sociaux offrent aux politiciens des moyens directs de communiquer avec le public, tout en posant des défis en termes de désinformation et de polarisation.

Le Parlement et la classe politique doivent donc développer des stratégies de communication efficaces, adaptées à l'ère numérique, pour engager les citoyens et promouvoir une information fiable et équilibrée.

Les élections Européennes 2024 : un moment clé pour le Parlement

Les élections européennes de 2024 constituent un moment clé pour le Parlement français, soulignant son rôle dans la formulation des politiques européennes.

Dans le journal le Monde[7], Brice Teinturier, s’appuie sur une étude Ipsos-Sopra Steria pour les Européennes 2024 pour analyser les quatre fractures qu’alimentent ces élections.

« Le premier clivage, sans doute le plus marquant, est évidemment celui qui oppose les électeurs de la majorité présidentielle à ceux du Rassemblement national (RN) et de Reconquête!. Quels que soient les indicateurs pris en compte, les premiers constituent l’électorat le plus en soutien et le plus ardent de l’appartenance de la France à l’Europe et de son action, tandis que les seconds en sont des détracteurs tout aussi ardents et résolus. »
« La deuxième fracture se joue au sein de la gauche et elle est, là aussi, impressionnante : sur tous les indicateurs relatifs à l’Europe, les électeurs de La France insoumise (LFI) portent des jugements plus négatifs que positifs, faisant de cet électorat le deuxième plus critique, après l’extrême droite, à l’égard de l’Europe. »
« La troisième fracture qu’introduit l’Europe concerne le parti Les Républicains (LR): cet électorat reste globalement attaché à l’UE. La perception de son action, à l’exception de la politique migratoire, est perçue comme plus positive que négative. Soixante-six pour cent des électeurs LR pensent ainsi que l’appartenance de la France à l’UE est une bonne chose ,18%, une mauvaise, soit un différentiel de + 48. Rappelons que celui-ci est de – 34 au RN et de – 41 chez les électeurs de Reconquête!. »
« La quatrième fracture enfin concerne… l’abstention ! Seulement 46% des Français s’intéressent à cette élection, avec un écart de 22 points entre les 18-24 ans (40% d’intérêt) et les plus de 70 ans (62%), conduisant à date à une abstention potentielle proche de celle de 2019 (50,1%). »

Ces élections sont ainsi une occasion pour les partis politiques français de positionner leurs agendas au niveau européen. Le Parlement doit donc naviguer entre les dynamiques internes et les exigences de l'Union Européenne, en cherchant à influencer les politiques européennes tout en répondant aux préoccupations nationales.

Ce contexte représente une opportunité pour le Parlement de démontrer son engagement envers une Europe unie et sa capacité à aborder des enjeux transnationaux. 

Changement climatique et politiques environnementales : le rôle du Parlement

Le Parlement français joue un rôle crucial dans la lutte contre le changement climatique et la mise en œuvre de politiques environnementales. Dans ce contexte, il est impératif d'adopter des mesures législatives efficaces pour atténuer les effets du changement climatique et promouvoir le développement durable.

En 2023, Stéphanie Barral et Bastien Soutjis dressaient ce constat :

« Cette impuissance [des représentants publics sur le sujet de la transition écologique] s’observe aussi dans les difficultés fondamentales à faire advenir des politiques réglementaires ambitieuses. La fiscalité environnementale, autre déclinaison du principe du pollueur-payeur, en est un exemple intéressant : bien que promue par des juristes et économistes de l’environnement comme un instrument théoriquement vertueux pour engager les secteurs économiques dans des trajectoires de décarbonation, l’analyse de la pratique témoigne d’un détournement des objectifs écologiques et partant, d’une faible efficacité environnementale et de difficultés à étendre et renforcer l’instrument. Plus récemment, on observe tout de même des annonces et des arbitrages législatifs plus ambitieux et contraignants pour les entreprises, sous la forme de décisions d’interdiction. »[8]

 Ainsi les auteurs mettent en lumière l'importance de l'approche parlementaire dans la formulation de politiques environnementales qui tiennent compte des réalités écologiques tout en répondant aux besoins économiques et sociaux. En conséquence, le Parlement endosse la responsabilité de guider la France vers un avenir plus vert et durable, en prenant des décisions éclairées et en favorisant un dialogue constructif entre les différentes parties prenantes.

Le Parlement et les conflits globaux : une perspective de sécurité

Le Parlement français, dans le contexte des conflits globaux, adopte une perspective stratégique de sécurité.

Josselin de Rohan expliquait en 2010 que « lorsque la Constitution évoque la défense nationale, c’est essentiellement pour préciser les attributions du gouvernement et du président de la République en la matière ». Pourtant « la montée d’une exigence démocratique de débat sur la politique de défense, qui ne semble plus aussi consensuelle qu’auparavant, a progressivement forcé la représentation nationale à se saisir plus efficacement de ces questions. Réputées, jusqu’à une date récente, intéresser modérément l’opinion publique et recueillir, de ce fait ou non, une approbation globale, les questions de défense affectent désormais le quotidien des citoyens »[9].

Ceci illustrant le rôle crucial du Parlement dans la formulation et la supervision des politiques de défense, soulignant l'importance de l'adaptation aux nouvelles formes de conflits et de menaces sécuritaires. La capacité du Parlement à réagir de manière efficace et réfléchie aux tensions mondiales est essentielle pour maintenir la stabilité et la sécurité nationale. Cette fonction du Parlement reflète la nécessité d'une approche équilibrée et informée dans un monde de plus en plus interconnecté et volatile.

 

En conclusion, l'année 2024 marque un point tournant pour le Parlement français, confronté à une multitude de défis nationaux et internationaux. Son rôle dans la gestion de la polarisation politique, la lutte contre la désinformation, les réformes législatives controversées, et la communication à l'ère du numérique démontre l'importance vitale du bicamérisme. De plus, sa participation active dans les élections européennes, les politiques environnementales, et la gestion des conflits globaux souligne son influence et sa responsabilité dans la préservation de la stabilité et de la sécurité de la France. Le Parlement demeure ainsi un pilier essentiel de la démocratie française, jouant un rôle central dans la navigation des complexités politiques de notre époque.


[1] OpinionWay « En qu(o)i les Français ont-ils confiance aujourd'hui ? », Le Baromètre de la confiance politique, Sciences Po CEVIPOF, vague 14, mai 2023, 173 p.

[2] ROUBAN (Luc) « La crise démocratique et ses faux-semblants », Note Le Baromètre de la confiance politique, Sciences Po CEVIPOF, vague 14, mai 2023, 12 p.

[3] REYNIÉ (Dominique) « La dislocation du monde médiatique : symptôme et facteur de la crise démocratique », Élections, médias et réseaux sociaux : un espace public en décomposition, Fondation pour l’innovation politique Lire la Société, mars 2023, 32 p.

[4] Ipsos/Sopra Steria « Fractures Françaises », Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne, 11e édition, 2023, 128 p.

[5] FOUCAULT (Martial) « Un regard négatif sur l’Assemblée Nationale », Le Monde, 11 oct. 2023, p. 11

[6] CALINE (Guillaume) « Baromètre 2023 de la confiance des Français dans les media », Kantar Public, La Croix, janvier 2023, 54 p.

[7] TEINTURIER (Brice) « Des électeurs de Macron à ceux de Marine Le Pen, des visions opposées », Le Monde, 2-3 juil. 2023, p. 11

[8] BARRAL (Stéphanie), (SOUTJIS) Bastien « De quoi Homo ecologicus est-il le nom ? Les impasses d’une politique des individus face à la crise environnementale », Revue Française de Socio-Économie, 2023/2 (n° 31), p. 7-22.

[9] DE ROHAN (Josselin) « Le parlement, enceinte légitime du débat démocratique en matière de défense », Inflexions, 2010/2 (N° 14), p. 105-116